Lors de la discussion générale sur la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers des structures sociétaires, je suis intervenu au nom du Groupe Les Républicains :
« Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de plus en plus de transactions foncières agricoles effectuées par des sociétés échappent au contrôle des Safer ou le contournent.
Ainsi, entre 2016 et 2019, 9 % des sociétés ayant cédé des parts ont vu leur capital intégralement transféré via des cessions partielles échelonnées dans le temps, sans possibilité pour la Safer d’exercer son droit de préemption, celui-ci ne concernant que les cessions totales.
En outre, de plus en plus de transactions de foncier agricole sont à prévoir, car, comme les précédents orateurs l’ont souligné, la moitié des exploitants prendront leur retraite d’ici dix ans et une part importante d’entre eux n’a pas de successeur.
À ces deux constats s’ajoute celui de l’existence d’une concurrence d’usage.
Chaque année, 55 000 hectares de terres agricoles disparaissent au profit d’une artificialisation destinée à l’urbanisation ou à la construction d’infrastructures routières.
Des restrictions réglementaires environnementales comme les zones de non-traitement (ZNT) affectent par ailleurs le prix des terres.
Cette pression foncière et financière entraîne une difficulté particulière pour les agriculteurs, notamment ceux qui veulent s’installer et n’héritent pas d’une exploitation ou encore ceux dont l’équilibre économique est fragile : celle d’avoir à supporter la charge de l’acquisition du foncier.
La structuration familiale des exploitations françaises évolue avec la progression des sociétés agricoles, ce qui conduit à déconnecter propriété foncière et exploitation. La tendance est à la concentration des terres au profit de structures dont tout ou partie du capital peut être financé par des personnes ne participant pas au travail agricole, le risque d’une financiarisation s’en trouvant accru.
La question du partage et de la gestion des utilités foncières relance le débat relatif à l’utilisation du territoire français, patrimoine commun de la Nation, et au rôle stratégique que jouent les espaces agricoles là où il s’agit de garantir notre souveraineté alimentaire et de lutter contre l’effet de serre, rôle déjà souligné dans le rapport présenté par M. Jean-Pierre Boisson en 2005.
La France est dotée d’outils législatifs et réglementaires permettant de réguler les transactions foncières agricoles, qu’il est nécessaire de faire évoluer.
Le texte issu de l’excellent travail mené par la commission des affaires économiques du Sénat et par M. le rapporteur présente un équilibre qui est susceptible de répondre aux objectifs fixés.
Il préserve un modèle français qui conserve comme socles le droit constitutionnel de propriété, le modèle et la composition de l’exploitation familiale, ainsi que les spécificités territoriales. En témoigne notamment la détermination du seuil surfacique de déclenchement suivant une moyenne définie dans le SDREA, dispositif de contrôle autonome lié au contrôle des structures via la CDOA.
Par le biais de dispositions telles que l’instruction de la demande d’autorisation par les Safer, qui conforte leurs missions dans la transparence, et le rôle confié au préfet de département, seule autorité administrative à délivrer l’autorisation, ce texte accentue la prévention des risques de spoliation locale au profit d’acquisitions exogènes.
Y concourt également l’élaboration par les collectivités locales et les agriculteurs des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), des schémas de cohérence territoriale (SCoT) et des plans locaux d’urbanisme (PLU), qui précisent les zonages et les usages.
Cette proposition de loi n’ayant pas fait l’objet d’une étude d’impact, il est prévu de surcroît une évaluation de ses effets dans les trois ans suivant sa promulgation.
La crise sanitaire a révélé la nécessité de la souveraineté nationale en bien des domaines : matériel médical, chimie, alimentation. Pour reprendre une métaphore chère au général de Gaulle, « si grand que soit le verre que l’on nous tend du dehors, nous préférons boire dans le nôtre tout en trinquant aux alentours. »
En agriculture, fleuron de notre économie, cette souveraineté passe par la maîtrise et le contrôle du foncier, à l’heure où celui-ci subit d’importantes pressions et s’expose à des formes juridiques qui favorisent son accaparement.
Le texte présenté à notre assemblée y concourra ; le groupe Les Républicains le soutiendra. »
Voici la réponse de M. Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation :
« Comme le disait M. le rapporteur, la terre et le sol constituent ce qu’il y a de plus important en agriculture. Je le remercie d’ailleurs d’avoir ouvert son propos par ce rappel. C’est là, vraiment, la boussole qui doit nous guider.
Nous essayons d’ailleurs, dans le cadre de la COP26, de promouvoir au maximum cette vision du sol agricole. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit du lieu géographique qui, après la mer, capte le plus de carbone – avant même la forêt. Il me semble très important de le rappeler.
Vous avez été nombreux à évoquer la grande loi foncière annoncée par le Gouvernement. Nous nous sommes effectivement engagés à présenter une grande loi foncière. Le Président de la République l’a d’ailleurs répété récemment devant les Jeunes agriculteurs, tout en expliquant pourquoi nous n’avions pas encore eu l’occasion de le faire.
Je crois pouvoir en parler, si je puis dire, de façon très sereine. Certes, nous n’avons pas présenté de grande loi foncière, mais nous n’avons pas chômé, depuis 2019, sur les questions agricoles, y compris d’un point de vue législatif.
J’ai le sentiment d’avoir eu à de nombreuses reprises le grand plaisir de venir échanger avec vous dans cet hémicycle, que ce soit sur des sujets spécifiques à certaines cultures, sur la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Égalim 2, ou encore sur la question des retraites.
Qui plus est, ces derniers temps, la crise de la covid-19 a consommé énormément de temps parlementaire.
Comme le disait par ailleurs M. le sénateur Duplomb, l’élaboration d’une grande loi foncière nécessiterait un débat apaisé, scientifiquement documenté, et de nombreux échanges préalables.
Il est vrai cependant qu’il nous faudra l’écrire, cette loi foncière. Et je serais ravi d’avoir un jour ou l’autre l’occasion de la défendre – l’avenir dira s’il me sera donné de le faire.
Il est urgent d’agir, car il existe, sur la question des parts sociétaires, un trou dans la raquette – nous l’avons tous constaté. Cela ne signifie pas qu’il faille interdire les formes sociétaires : cela signifie qu’il faut les contrôler comme on contrôle aujourd’hui les autres structures. C’est vraiment très important, comme l’ont dit Bernard Buis et Franck Menonville.
Enfin, monsieur Labbé, je crois, ce soir, avoir enfin compris la pensée écologiste ! (Sourires.)
Vous avez dit que votre groupe s’opposerait à ce texte au motif qu’il est « nécessaire, mais pas suffisant ». En entendant ces mots, je crois avoir compris quelque chose à votre pensée – je le dis, bien sûr, avec beaucoup de respect. En réalité, si vous me permettez cette expression, vous êtes un éternel insatisfait. Je comprends pourquoi j’ai souvent du mal à vous faire voter les textes que nous défendons !
Comme je l’ai dit moi-même, ce texte est nécessaire, mais insuffisant – je suis d’accord avec vous. Cependant, ce n’est pas parce qu’il n’est pas suffisant qu’il ne faut pas faire le nécessaire. J’y insiste vraiment ! »